Déconfinement – Retour en forêt

53 jours qu’elle nous était interdite. 53 jours à la frôler, à la toucher, à la sentir, à l’entendre même. 53 jours, si peu et si long à la fois. Aujourd’hui, la forêt nous est à nouveau ouverte. Bien sûr, durant ces deux mois, la vie ne s’y est pas arrêtée. Éternelle, elle n’a jamais eu besoin des hommes pour s’épanouir. Bien au contraire. Sans doute a-t-elle même profité comme rarement d’une liberté que nous, confinés, devions regarder de derrière nos fenêtres, « prisonniers » de notre cercle de jeu réduit à un rayon de 1 km. Dans cette forêt, pendant notre absence, les oiseaux y ont interprété leur plus beau récital. Les petites fleurs bleues qui tapissent son sol chaque année au début du printemps et lui donnent des allures de décor d’un film de Tim Burton, ont cette année éclos sans témoin. Elles reviendront l’an prochain. Et nous, coureurs à pied, vététistes ou simples promeneurs, en profiterons à nouveau. C’est certain.

Avec plus de 3500 hectares, la forêt de Saint-Germain-en-Laye est la deuxième forêt des Yvelines derrière celle de Rambouillet. Un terrain de jeu unique qui inspire à la fois respect et réflexion. Il est temps de s’y engouffrer à nouveau. Avec l’envie de retrouver toutes ces émotions qui nous envahissent dès qu’on la pénètre. Celles de ces petits matins où les premiers rayons du soleil se faufilent entre les branches et viennent percer la brume encore en suspension tout autour de nous. Celles de ces soirées où au rythme de nos foulées, le ciel s’embrase pour accueillir le retour de la lune. Nos footings ou nos escapades VTT ont beau nous amener régulièrement aux mêmes endroits, toujours l’impression de profiter de nouveaux paysages avec ces couleurs qui changent au fil des saisons, au fil des jours, au fil des heures. Les premiers kilomètres sont hésitants. Sans doute la peur de déranger une nature à qui l’on ne manquait sans doute pas et que l’on hésite à sortir de sa quiétude. Comme un réflexe de savoir-vivre. Le même instinct qui nous fait parler à voix basse quand on entre dans une église.

La Fêtes des Loges, plus de trois siècles d’histoire 

Peut-être parce que la période est propice à la réflexion et qu’elle fut l’occasion de se questionner sur la vie, cette première sortie VTT d’après confinement se fera sur les traces du passé religieux de la forêt. Au fil des chemins, de petites croix bleues accrochées aux arbres nous guident vers des oratoires. Le plus souvent accrochées suffisamment haut pour que l’on ne puisse les atteindre, des petites statues rendent hommage à des Saints (et des Saintes) honorés au fil des siècles. Les plus croyants y verront le symbole du lien entre la Terre et le Ciel, les plus pragmatiques y verront une façon de lutter contre les dégradations.

Au carrefour qui accueille chaque année la Fête des Loges, sur la route d’Achères, l’oratoire de la Vierge des Polonais est dédié à Notre-Dame de Czestochowska. Un peu plus loin, juste devant la maison d’éducation de la Légion d’Honneur installée dans l’ancien couvent des Loges fondé en 1644 par Anne d’Autriche, un discret monument, encastré dans un renfoncement caché derrière une grille et bientôt envahi par les herbes, évoque Saint-Fiacre, moine irlandais venu au VIIe siècle prêcher l’Évangile tout en cultivant les jardins. Sous Louis XIII fut fondé un couvent d’Augustins. En 1652, le pape Innocent X institua la confrérie Saint-Fiacre. Deuxième plus ancienne fête foraine en France, la fête des Loges est également née ici. On pose le VTT quelques instants pour y lire la plaque apposée contre le mur. « En 1665, une procession en l’honneur du saint patron des jardiniers est organisée et va de l’église paroissiale aux Loges, motif de réjouissances populaires. En 1744, la manifestation religieuse disparait. La fête foraine subsiste. » Et c’est ainsi que depuis des siècles, des milliers de personnes se retrouvent ici chaque été pour y faire la fête. Les chemins nous mènent ensuite vers les oratoires dédiés à Sainte-Geneviève, Notre-Dame du Bon Secours, et Sainte-Anne (Anne d’Autriche, mère de Louis XIV).

Chemins de croix 

On change le braquet pour s’engouffrer à nouveau dans les petits chemins. A quelques mètres des sentiers, des cabanes attendent depuis bientôt deux mois que des enfants viennent à nouveau s’y inventer des histoires. Demain, après-demain, le prochain weekend, ils reviendront avec leurs parents. Ils ramasseront des branches pour consolider cette maison, ce tipi, ou peut-être même ce château-fort. Personne ne peut confiner l’imagination d’un enfant.

Au bout d’un chemin, parfois posées à la vue de tous, parfois plus discrètes au cœur de la forêt, plusieurs croix témoignent également du passé très religieux de la ville. La plus ancienne est la croix Pucelle. Situé entre Poissy et Saint-Germain, à quelques mètres de la piste cyclable qui elle aussi a retrouvé ses habituels coureurs, le monument date de 1456 et fut érigé par Jean Dunois, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc ! La croix Dauphine fut elle posée par Henri II en 1540 encore dauphin du roi. La balade nous mène aussi vers la croix Saint-Germain, érigée en 1857 par le curé d’Achères, l’abbé Duport, pour remercier Dieu d’avoir épargné le village du choléra en 1852. Enfin, à mi-chemin vers Conflans, pas très loin de la gare Achères-Grand Cormier (du nom du lieu-dit où se situe la gare), la croix Saint-Simon fut commandée en 1635 par le marquis de Saint-Simon pour commémorer les victoires du roi.

Au croisement entre la N184 et la Route de Poissy se dresse la croix de Noailles, érigée en 1751 sur ordre de Adrien Maurice de Noailles, maréchal de France (les Ducs de Noailles étaient à cette époque gouverneurs de Saint-Germain). Longtemps, l’endroit servit de repère de chasse avant de devenir un point incontournable des promenades en forêt.

Aux origines du Paris-Brest

Juste à côté, au sud-est, à l’ombre de quelques arbres, un banc de pierre est peu à peu envahi par la mousse. A l’automne, les feuilles mortes viennent s’y poser. Idéal pour un petit ravitaillement. Il est dédié à Pierre Giffard, né en 1853 et décédé en 1922 à Maisons-Laffitte. Ce nom ne dit probablement pas grand-chose aux promeneurs, coureurs ou cyclistes qui passent devant. Certains ne l’aperçoivent sans doute même pas.

Pourtant, ceux qui prennent le temps de s’y arrêter en apprennent davantage grâce à une inscription taillée dans la pierre. « Journaliste, homme de lettres, auteur dramatique, eut l’intuition de la vie moderne et se consacra tout entier à en répandre les bienfaits, écrivit dès 1890 « La bicyclette c’est autre chose qu’un sport, c’est un bienfait social ». Créa les premières compétitions sportives : Cyclisme : Paris Brest, 1891. Course à pied : marathon de Marly le Roi, 1893. Automobile : Paris – Rouen, 1894. Colombophilie : Rallye de pigeons au-dessus de la mer, 1895. Des vacances pour tous. Campagne des petits trous pas chers. » (un « petit trou pas cher » était une station de vacances, pas chère. Jean Ferrat en a aussi fait une chanson.) 

Pierre Giffard était ainsi un pionnier des événements sportifs. A commencer par la célèbre épreuve cycliste Paris-Brest. A chaque passage devant ce banc, j’y vois un symbole sur le chemin qui je l’espère me conduira en 2023 au départ de ce Paris-Brest-Paris et de ses 1200 kilomètres à accomplir en moins de 90 heures (l’épreuve n’a lieu que tous les 4 ans). Mon prochain grand projet, celui qui comme l’EmbrunMan, jusque l’an dernier, alimente mes fantasmes, me fait vibrer. Presque une évidence. Depuis toujours le Paris-Brest est mon gâteau préféré. Ce ne peut pas être un hasard. Amusant en effet de savoir que l’origine de ce dessert est liée à cette course, quand, en 1910, Pierre Giffard, toujours lui, demanda à un ami pâtissier de Maisons-Laffitte, Louis Durand, de créer un gâteau en hommage à sa course. La forme ronde du gâteau est là pour symboliser une roue de vélo (la pâtisserie familiale existe toujours, 9 avenue de Longueil).

Miroir, mon beau miroir

Bientôt deux heures que la balade a commencé dans ces sentiers tracés entre les chênes (l’arbre le plus présent), les hêtres, les pins sylvestre et noir d’Autriche et de multiples autres espèces. Pendant des siècles, les rois de France et leur cour y ont chassé. Seuls les sangliers y sont aujourd’hui abattus. Mesure rendue indispensable par leur prolifération. Retour vers la ville en faisant un petit tour de la Mare aux Canes. L’endroit est paisible, propice à la contemplation. Les promeneurs ne s’en privent jamais. Les vététistes ou coureurs fatigués non plus. Effet miroir où ciel et arbres viennent se refléter et nous offrir une étonnante symétrie de formes et de couleurs. Dernier passage par le Chêne des Anglais et son oratoire dédié à Sainte-Marie des Hirondelles. Au 17e siècle, Jacques II, dernier roi d’Angleterre de la maison des Stuarts, et d’Irlande, de 1685 à 1688 (également roi d’Ecosse sous le nom de Jacques VII), contraint à l’exil au château de Saint-Germain-en-Laye (Louis XIV était son cousin), venait y prier. A cinquante mètres à peine, la grille de la demi-lune est encore fermée. Zone rouge oblige, le parc du Château reste fermé. Encore quelques jours, quelques semaines peut-être. Pour nous faire patienter, une certitude née de cette sortie VTT. Le plaisir de la redécouverte peut être aussi intense que celui d’une première fois.

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