Trois semaines pour écrire mon texte sur « La Nuit de l’eau libre » et mes 12 heures de natation du mois de septembre, je suis presque aussi lent sur le clavier que dans l’eau. Désolé.
En préambule, j’aimerais apporter une petite précision. Souvent, j’entends sur mes défis un peu « engagés » des commentaires du genre « faut être fou pour faire ça ! » Eh bien figurez-vous que c’est exactement l’inverse. Si l’on ne fait pas les choses avec beaucoup de rigueur, ça ne peut pas marcher. Évidemment, sur les réseaux sociaux, on aime cultiver l’idée que nous sommes un peu tarés pour avoir ce genre d’idées comme par exemple, pour moi cette année, le Bordeaux-Paris vélo non stop (38h58′ – récit à lire ICI) ou ces 12 heures de natation. On entretient le mythe… Pourtant, être fou, c’est échouer à coup sûr. La préparation doit être guidée par la raison, la gestion de l’effort ne laisse aucune place à la folie. Je préfère l’idée de l’audace.
L’approche du Jour J
Contrairement à l’édition 2019 où je découvrais l’épreuve, je savais donc cette fois où je mettais les pieds, ou plutôt où je les trempais. En parachutisme, on dit souvent que le deuxième saut fait plus peur que le premier, une théorie que je ne partage pas… j’ai quelques sauts à mon actif, d’abord avec l’armée chez les paras (eh oui…), puis dans le civil avec même sur la fin un peu de chute libre en solo, et sincèrement je n’ai jamais vraiment eu peur. Pour cette Nuit de l’eau libre, c’était donc plutôt selon moi une bonne chose d’avoir conscience de l’effort que ça représente. J’ai pu adapter mon entraînement avec davantage de séances longues (rarement moins de 5000 m et jusqu’à plus de 10 km dans la piscine de Saint-Germain-en-Laye). Je savais aussi que j’étais capable de tenir 12 heures sans sortir de l’eau alors que la première fois, je partais complètement dans l’inconnu n’ayant jamais dépassé les 10 km. Des avantages donc mais aussi le danger de s’enflammer un peu et de partir trop vite.
Comme je suis un garçon raisonnable (si, si je vous assure), je décide de rester sur les mêmes bases que lors de ma première expérience. Tranquillou au départ, et tenir, tenir, tenir… pour finir… tranquillou. J’adopte aussi la même stratégie sur les ravitaillements en les imaginant environ toutes les heures. Je m’interdis aussi de regarder ma montre trop souvent. Pas question de me laisser parasiter par une quelconque idée de compétition, même si, je le reconnais, ça m’amusait d’arriver sur course en tant que tenant du titre pour la première fois de ma vie. Ces 12 heures devaient avant tout être une expérience, un voyage. Les comptes, on les fait à la fin (je vous épargne les « c’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens » ou encore le « c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses »).
La gestion mentale (je sais que vous aimez cette partie)
Vous vous en doutez, mais je le répète à nouveau, nager 12 heures sans sortir de l’eau, c’est avant tout une histoire de mental. Ok, il y a de l’entraînement derrière mais l’essentiel réside dans la gestion du temps et de l’effort. Chacun dispose de sa propre « caisse à outils » pour régler les problèmes de son mental. L’expérience apprend à mieux connaitre le contenu de cette caisse et à savoir utiliser le bon outil au bon moment. A titre personnel, ma base est de décomposer l’effort en plusieurs parties et de savoir si nécessaire diviser à nouveau chaque partie au fil du temps. J’appelle ça la philosophie du « on verra après ». Je développe.
Au départ, je ne pars pas pour 12 heures de natation. Je pars pour une première heure avant mon premier ravitaillement… et on verra après. Une fois la première heure passée, je repars pour une nouvelle heure et… on verra après. Etc. Vu le froid de la nuit, j’ai décidé assez vite de me ravitailler plus fréquemment que prévu afin de lutter contre l’hypothermie. En fin de nuit, je m’arrêtais même à chaque tour, toutes les 20 minutes environ. Du coup, je partais pour un tour… et on verra après. C’est le même principe sur un Ironman, où je pars pour la natation et on verra après, puis pour le vélo et on verra après puis la première boucle du marathon et on verra après, jusqu’à parfois arriver au, « je fais un pas… et on verra après » (j’exagère certes un peu mais on s’en approche parfois). Et ne pas oublier non plus de s’envoyer des fleurs (ça ne fait jamais de mal) et de se nourrir de ce qu’on vient d’accomplir. Se féliciter d’avoir déjà fait 10 km, puis d’avoir fait 20 km etc. Une façon d’apporter du positif.
Si l’on voit la totalité de ce qui nous attend, ça peut donner un coup au moral… En décomposant tout semble bien plus accessible. Bien sûr, le cerveau n’est pas débile et sait très bien que ce ne sera pas fini tout de suite… Mais il faut réussir à lui en donner l’illusion… J’ose faire le parallèle avec la vie « tout court ». Quand les emmerdes s’accumulent, le truc est d’essayer de ne pas voir le tas d’emmerdes dans sa globalité mais d’en régler une première puis une deuxième et… on verra après.
Mon autre outil privilégié pour ces efforts allongés est « l’imaginaire ». Laisser partir son imagination c’est l’empêcher de se focaliser sur soi, sur les inévitables douleurs, la lassitude et toutes ces idées négatives qui à un moment ou un autre viennent essayer de vous pourrir la vie. C’est aussi s’évader, laisser le corps faire son boulot sans plus trop s’en soucier (mais toujours garder actif un « service d’écoute » pour recevoir ses messages urgents), lui faire confiance, et emmener ses pensées ailleurs. Cet ailleurs peut parfois être surprenant. Sur ces 12 heures de natation, en voyant dans la brume de la nuit la frontale des kayakistes, j’ai cru revivre la scène du film Titanic avec les canots à la recherche des survivants. J’ai cherché Rose sur sa planche. En vain. Mais ça m’a amusé. Il y aussi certaines personnes qui reviennent régulièrement à l’esprit. Celles que l’on « appelle » à la rescousse parce que l’on sait que le simple fait de penser à elles va nous apporter du soulagement, du plaisir, un petit sourire intérieur, une jolie émotion et que ça rendra forcément l’instant moins pénible. Et puis parfois, on ne sait pas trop pourquoi, on pense à une personne qu’on n’attendait pas, un peu comme dans un rêve où vient s’incruster quelqu’un à qui l’on n’a plus pensé depuis des années. Mystères de l’esprit.
L’expérience m’a aussi appris que si les bonnes choses ont une fin, les mauvaises en ont une aussi. Comme je l’avais anticipé, le créneau entre 5h et 7 h du matin fut le plus délicat. Sept heures à nager dans le noir, sans rien voir, ou presque. Le noir sous l’eau, le noir au-dessus, le noir sur les côtés. Noir c’est noir, il y a pourtant encore de l’espoir. Parce qu’une fois le jour levé, on sait que tout va changer. La vie reprendra autour de nous. Des formes réapparaitront, des ombres surgiront, le soleil nous réchauffera. Et il ne restera plus que 5 heures à nager… Dis comme ça, ça pourrait faire peur et pourtant cette façon de raisonner en « plus que » plutôt qu’en « encore » est elle aussi essentielle dans ma caisse à outils. L’expérience, encore elle, m’a appris à l’automatiser.
Avec tous ces outils et quelques autres de temps en temps, le temps passe finalement assez vite. Et quand il ne reste plus que deux ou trois heures, on sait que c’est quasi fini et que ça se termine. Souvent, ça vous redonne même un petit coup de fouet et vous plonge dans une nouvelle dynamique.
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La nuit de l’eau libre, c’est quoi ce truc ?
L’orga
L’épreuve se déroule à Longueil Saint-Marie, dans l’Oise. Le club de L’Ois’Eau Libre en est l’organisateur. J’en profite pour remercier toutes celles et tous ceux qui contribuent à cet événement (il y a également une fête de l’eau libre le samedi après-midi avec des distances de 1 km, 3 km et 5 km). Merci à tous les membres du club, à tous les bénévoles, à tous les kayakistes qui tournent toute la nuit (et doivent bien se cailler). Tous veillent sur nous et s’assurent de notre sécurité. Eux aussi ne dorment pas et méritent vraiment un immense merci !
Le principe
Une boucle d’environ 900 m dans un plan d’eau. Un départ à minuit, une arrivée à midi et on compte les tours (passage sous une arche à chaque tour). Possibilité de faire la course en solo ou bien en relais de 2, 3 ou 4 nageurs. Pendant ces 12 heures, chacun gère sa course comme il l’entend. Possibilité de nager quelques heures, de sortir se reposer et de retourner nager plus tard. Bien sûr, moins il y a de repos, plus il y a de tours au compteur. Sur les 12 solos (aucune fille cette année hélas), nous sommes trois à ne pas être sortis de l’eau… les trois premiers. Contrairement aux épreuves traditionnelles, il n’y pas ici de réelle notion d’abandon. Tu peux ne faire que deux ou trois tours et tu seras quand même classé. Ce n’est évidemment pas l’idée mais sur cette course la notion de « finisher » n’existe pas.
Maillot ou combi ?
Dans chaque catégorie, un classement pour les nageurs en combinaison (mon cas) et un autre pour ceux en simple maillot (respect éternel à eux). A noter que le premier « maillot » est 3e au scratch. Pour moi la vraie performance de ces 12 h !
Le ravitaillement
Pour les concurrents en solo, une caisse est posée sur des pédalos au bord de l’eau. Pas besoin de sortir de l’eau pour se ravitailler (on a pied avec de l’eau environ jusqu’à la taille). A titre personnel, mon ravitaillement consistait en de l’eau Saint-Yorre pour les sels minéraux, des pâtes, de la semoule, des bananes, des pastilles Stinium, un peu de chips et un peu de coca (j’en ai finalement très peu bu).
La sécurité
Des kayaks et canoés sont présents en permanence sur le plan d’eau et les organisateurs veillent à chacun de nos passages à vérifier que nous sommes encore en forme (nous avions été alertés spécifiquement au briefing sur les risques d’hypothermie et les signes annonciateurs). Nous avions également un petit « stylo » phosphorescent accroché à notre bonnet pour essayer de nous localiser dans la nuit. Même si ça reste forcément par son principe une course un peu « engagée », a priori, aucun nageur ne manque à l’appel.
EN CHIFFRES
J’ai donc perdu mon titre mais reste sur le podium à la 2e place. Aucun regret, d’abord parce que je m’en fous et ensuite parce que le premier était bien au-dessus avec trois tours de plus que moi.
Au total, j’affiche donc officiellement 32 tours soit 28,16 km. A la montre, je suis en réalité à un peu plus de 30,5 km (pas mal de zig-zag la nuit entre les bouées).
Pour illustrer la notion de gestion de l’effort, voici mon classement au fil des 12 heures :
1er tour : 9e
5e tour : 7e
9e tour : 6e
12e tour : 5e
13e tour : 4e
14e tour (environ 5 heures d’effort) : 2e (jusqu’au bout)
L’eau était entre 19 et 20° et la température extérieure est descendue autour de 5-6° dans la nuit.
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Lors de ma première participation, j’avais fini avec 30,2 km à la montre et (28,2 km officiellement). Vu que je me suis beaucoup plus arrêté me ravitailler cette année, je n’ai pas trop vieilli… et quand je vois l’âge de mes deux collègues sur le podium, je me dis que papy tient encore la forme. Et autre satisfaction, alors que la première fois j’avais dû attendre trois jours pour réussir à lever mes mains jusqu’à mon crâne, cette année aucune douleur !