Footing sur la plus belle des terrasses

Pas toujours facile de quitter la chaleur d’une couette pour aller courir. Il y a les matins dans le brouillard, au propre comme au figuré. Il y a parfois les matins sous la pluie. Et puis il y a ces matins magiques où le footing prend une autre dimension, où la performance devient anecdotique.

Certains matins, le soleil et la lune semblent s’être donné rendez-vous sur la terrasse du parc du domaine national de Saint-Germain-en-Laye . Pendant que le ciel passe du rose au bleu, les deux astres semblent entamer une drôle de parade. D’abord timide, le soleil rougit. Peu à peu, il gagne en assurance et commence à se montrer, là-bas à l’est, au-dessus des tours de la Défense et du Mont Valérien, avec la Tour Eiffel pour témoin. Mais le Soleil a beau briller de plus en plus fort, sans doute pour attirer l’attention, la Lune, elle, s’éclipse. Il se dresse, offre à chaque instant un supplément d’énergie et de lumière. Le voilà désormais au-dessus du Château et du Pavillon Henri IV, vestige du Château-neuf, aujourd’hui détruit. Rayonnant, le Soleil est ici chez lui. N’est-ce pas là qu’est né Louis XIV le 5 septembre 1638, le futur… Roi Soleil ? Ses rayons s’engouffrent maintenant dans la rue de La Salle et éclairent au numéro 14 celle que l’on considère comme la plus vieille maison de Saint-Germain-en-Laye. Le Soleil est là, mais la Lune ne le voit plus. Désolé Monsieur Trénet. Le rendez-vous n’aura pas lieu aujourd’hui.  

Et puis il y a ces perspectives.

Véritable génie, André Le Nôtre, lors de la conception de l’ouvrage entre 1669 et 1674, utilisa une légère variation de l’altitude pour donner l’illusion que le bout de la balade était proche. Magie de l’anamorphose. A peine perceptible pour le promeneur, l’astuce de l’architecte est pourtant bien ressentie par le joggeur De la table d’orientation qui offre une vue magique vers l’est, avec juste en dessous les 1900 pieds de vigne du vin (Pinot noir) de la Grotte, et encore un peu plus bas la Seine, il faut en effet courir 1000 toises, soit près de 1945 m, pour atteindre le Rond Royal. On y imagine les amoureux de la cour des différents rois passés ici venir conter fleurette au milieu des herbes, le regard tourné vers le Château du Val.

Retour vers le jardin de la Dauphine où l’on pourrait presque entendre les rires et les pleurs du Roi Louis XIV, l’un des premiers à s’y être amusé. Combien d’enfants y ont depuis ri, pleuré ? Combien de parents y ont couru pour les consoler ou les faire rire ? Louis XIII et Anne d’Autriche y ont-il partagé d’heureux moments avec leur jeune enfant ? Pas sûr. 

Le passage par le Jardin anglais créé par Loaisel de Tréogate pour Louis Philippe au milieu du XIXe siècle, nous révèle le bruit sourd du RER A qui file vers Paris en avalant à chacun de ses arrêts son flot de travailleurs ou d’étudiants. Plus tôt, alors que la nuit vivait ses derniers instants, tels des ombres ils ont traversé le parc en y entrant par la grille des Loges (avant les travaux actuels du Tram 13). Pris dans leur routine quotidienne, ils ne se sont sans doute pas offert le temps de se retourner pour admirer cette Route des Loges avec là-bas, tout au fond, l’ancien couvent des Loges fondé en 1644 par Anne d’Autriche et aujourd’hui maison d’éducation de la Légion d’Honneur. Ils ont contourné le Rond de Pontoise, là où dans quelques mois, une fontaine posée au milieu d’un bassin de 50 m de diamètre devrait ravir les promeneurs. 

Le joggeur poursuit sa route, son chemin. Sur le Belvédère, la table d’orientation guide les visiteurs interpellés par la vue qui s’étale devant eux. De cet endroit, les plus perspicaces peuvent apercevoir, là-bas au loin, à l’est, le Sacré-Coeur, la Tour Eiffel, la Tour Montparnasse, le Mont-Valérien et bien évidemment les grandes tours de La Défense. Juste à côté, près de l’endroit où trôna jusqu’en 2014 une statue de Vercingétorix, les jardiniers du parc préservent chaque été un ilot où la richesse de la flore permet aux abeilles et autres insectes de s’épanouir. 

Dans l’allée du Boulingrin et l’allée François Ier qui ramènent vers l’allée Henri II, l’ombre des arbres dessine sur le sol un joli tableau. L’imagination d’un enfant y verrait peut-être une marelle géante. Posée ici depuis un peu plus d’un siècle, la statue de l’Amour et de la Folie, l’œuvre du Toulousain Paul Darbefeuille, admire ce tableau chaque jour. Un privilège. 

Les cloches de l’église retentissent et sonnent la fin du footing, la fin du voyage. Le temps a filé. Celui indiqué par le chronomètre est devenu anecdotique. Quand en à peine une heure, plusieurs siècles se sont écoulés au fil de nos foulées. 

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