Nouvelle parue dans la revue littéraire « Le Traversier », sur le thème « un coin d’enfance ». Souvenirs personnels d’une autre époque et de samedis pas comme les autres dans les tribunes du Stade de Reims.

Voir « en vrai » toutes ces vedettes qu’il avait parfois le droit de regarder à la télé, c’était quelque chose. Toute la semaine, il avait attendu ce moment. Toute la semaine, avec son ballon, il avait tapé dans la porte du garage. Pas de frère, ni d’ami, pour jouer « dans les cages ». Mais peu importe, chaque coup de pied lui offrait la Coupe du monde. Quelques fleurs n’avaient probablement pas résisté à cette quête de gloire jubilatoire. Pourvu que son père ne s’en rende pas compte. C’est que ça ne plaisantait pas à la maison. Même arrachées, les fleurs pouvaient encore avoir des épines.
Le samedi, c’était jour de match. Direction Reims. Un voyage, une aventure. Trente minutes de voiture sur la petite route tracée au milieu du vignoble, le nez collé sur la vitre à jouer avec la buée de sa respiration. Le paysage qui défile mais l’esprit déjà rempli des clameurs d’un stade. Se garer le long du canal, traverser le pont et entamer une procession, porté par une grande excitation. Et enfin arriver près des guichets et des portes du stade. Les portes du Paradis. Un paradis bon marché, côté populaire, là où les places sont les moins chères. Le cérémonial était toujours le même. Une halte à la buvette d’abord. Un rite. Pendant que les grands buvaient leur bière, lui avait le droit à sa barquette de frites. Avec plein de moutarde. Pourquoi se priver puisqu’elle était gratuite ?
Les beaux jours, il montait parfois dans la tribune placée tout en haut du stade. Ivresse du vertige. Pas de toit, le vent qui souffle, mais l’impression de dominer le terrain… et donc le monde ! À cet instant, il en était le roi. Parfois, à côté de lui, il entendait les vieux parler des vedettes d’une autre époque, de leurs souvenirs en noir et blanc. Raymond Kopa, Just Fontaine, Albert Batteux ou encore Roger Piantoni. Ça ne lui disait rien. Il comprendra bien plus tard qu’eux aussi avaient fait rêver des gosses. Des gosses aujourd’hui devenus les vieux d’à côté. Un jour, lui aussi serait vieux.
Mais sa place préférée, c’était en bas, dans le virage, derrière le grillage. À quelques mètres de lui, le nez collé au grillage entre deux mailles qui ressemblaient à un écran télé, il pouvait apercevoir les joueurs, presque les entendre. Seule la piste du vieux vélodrome avec ses grandes peintures au nom d’entreprises fermées depuis bien longtemps le séparait des stars. Les posters de sa chambre prenaient vie. Carlos Bianchi dans un camp, Dominique Rocheteau et Johnny Rep dans l’autre. La France vivait alors au rythme des Verts. « Qui c’est les plus forts, évidemment c’est les Verts. » Lui, il préférait le rouge et le blanc des siens.
Depuis, beaucoup de choses ont changé. Le vélodrome qui avait accueilli plusieurs fois le Tour de France a été détruit. Des tribunes, modernes, ont remplacé le grillage. Mais elles n’ont pas emporté ses souvenirs, toujours attachés à ce petit bout de grillage. Une partie de sa jeunesse y est aussi restée accrochée. Les années ont passé. Vite. Très vite. Trop vite. La vie lui a donné la chance de vivre de sa passion. Des matchs, il en a vu des centaines. Les plus beaux, ceux qui font vibrer un pays et guérissent les fractures le temps d’une partie. Mais chaque fois, au moment d’entrer dans un stade, il a toujours repensé au petit garçon dans sa tribune. Il s’est imaginé tous ces gamins impatients de monter dans la voiture de leur père. Impatients de retrouver leur siège, et peut-être même parfois leur bout de grillage. Eux aussi auront leur coin d’enfance. Leur coin d’insouciance.
Ce texte est beau, il y a presque un soupçon de nostalgie camarade. Ta plume est légère comme d’habitude. Bravo et merci Pascal pour ce partage littéraire.
Merci Vincent. La nostalgie est bien là 😉
Pascal, j’ose, malgré ma légendaire timidité, t’adresser mes compliments sincères pour la remarquable qualité de cette » tranche de vie » rédigée avec talent et » cerise sur le gâteau » avec une émotion communicative.
Merci Pascal !
Merci Georges… Une autre époque…