Le Soleil a rendez-vous avec la Lune

D’abord rouge, le ciel est passé à l’orange, puis au rose. Bientôt, il sera bleu. Ce matin, sur la terrasse de Saint-Germain-en-Laye, le Soleil a rendez-vous avec la Lune. Bel endroit pour une rencontre.

Comme chaque matin, une drôle de parade débute. Encore dissimulé par les tours de la Défense, parfait rempart pour cacher sa timidité, le Soleil rougit. Au fil des minutes, il gagne en assurance et commence à se dévoiler. Un peu plus loin, de sa fenêtre, la tour Eiffel observe la scène. À cette heure, les parasols du parc du château sont encore repliés. Peut-être, s’ouvriront-ils un peu plus tard, pour protéger ceux que les rayons effraient. « Pourvu que la Lune soit moins peureuse », espère le Soleil.

Dans les allées, l’ombre naissante des arbres dessine sur le sol un joli tableau. L’imagination d’un enfant y verrait une marelle géante. Posée ici depuis un peu plus d’un siècle, la statue de l’Amour et de la Folie admire ce tableau chaque jour. Un privilège. L’Amour et la Folie : le Soleil en rêve. Chaque nuit.
Au pied du château, dans le jardin de la Dauphine, la Lune et le Soleil ont autrefois entendu les rires et les pleurs des petits rois. Ils se souviennent même les avoir vus s’amuser. L’enfant, roi, reste un enfant. Combien d’enfants y ont depuis couru, ri, pleuré, combien y sont tombés ? Combien de parents se sont précipités pour les consoler d’un souffle magique ? Louis XIII, celui qu’on appelait « le Juste », a-t-il eu le temps de souffler sur les genoux écorchés de son petit Louis ?

Au petit matin, les maîtres de chiens sont souvent les premiers à franchir la grille. Impatients d’offrir à leurs compagnons un moment de liberté. Ce soir, ils seront à nouveau là. Pour la même raison. A moins que cette liberté soit aussi la leur. Les joggeurs aussi sont là, prêts à descendre la terrasse, prêts à courir les 1000 toises imaginées par le génie d’André Le Nôtre, maître de l’anamorphose et de l’illusion. Certains s’arrêtent sur le Belvédère, interpellés par la vue qui s’étale devant eux. Chacun leur tour, à chacun sa tour. Là-bas, au loin, se dressent sa majesté la tour Eiffel, sa petite sœur, la Tour Montparnasse, ou encore les petites dernières, réunies à La Défense. Au bout des ces 1000 toises, arrivés au Rond Royal, ils apercevront alors le Sacré-Coeur.

Un peu plus bas, sous le pont, coule la Seine. La Lune et le Soleil aiment jouer avec elle, lui offrir leurs plus beaux reflets. Chacun leur tour. Source de vie, elle escorte les bruits venus de la capitale. Ces mots dans toutes les langues de touristes émerveillés, ces cris d’enfants jouant dans un square posé sur son bord, le crissement des rames de métro qui l’enjambent parfois pour relier ses deux rives, ces bruits de promeneurs, de joggeurs, de flâneurs, de beaux-parleurs, d’enchanteurs. Sous le pont coule la Seine, chargée d’images d’amoureux se bécotant sur un banc public… « en s’foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes, en s’disant des « je t’aime » pathétiques » avait observé Brassens. Ainsi, « passent les jours et passent les semaines. Ni temps passé, ni les amours reviennent, sous le pont coule la Seine », aurait ajouté Apollinaire.

Dans la forêt toute proche, chevreuils, lapins et écureuils se faufilent à travers les feuillages. Leurs déplacements orchestrent la délicate musique du réveil de la nature. Le bruit sourd du RER vient souvent l’interrompre. Direction Paris. À chacun des arrêts, il avale son flot de travailleurs, d’étudiants, de voyageurs. La Lune les connait bien. Chaque jour, elle les observe. Plus tôt, alors que les étoiles, les unes après les autres, prenaient congé, ils ont traversé le parc. Tels des ombres lunaires. Comme chaque jour, ils ont accéléré le pas. Comme chaque jour, ils ont contourné le grand bassin et ses jets d’eau encore muets à cette heure. « Le plus grand bassin d’Île-de-France » disent les réclames. « Comme Louis XIV l’avait imaginé », clament ceux qui souhaitent faire de l’histoire leur alliée. Une fois avalés par les entrailles du RER, la Lune les a alors perdus de vue. Mais elle les a imaginés se presser. Déjà. Encore. Comme chaque jour.
Aucun probablement n’aura pris le temps de se retourner pour admirer la perspective de la Route des Loges avec là-bas, tout au fond, l’ancien couvent des Loges. Aucun n’aura levé la tête. À peine l’auront-ils aperçue, elle, la Lune. Sans lui prêter grande attention. Elle le sait. À cette heure, elle n’attire plus les regards. Ils n’en ont plus que pour lui… le Soleil.
Tous le guettent, l’espèrent. Elle n’en prend plus ombrage. Elle reviendra ce soir. À une heure bien plus propice à la séduction. Surtout les nuits où elle déploie toute sa force, tout son éclat.

Ce matin, le soleil se sent fort. Irrésistible. Il a rendez-vous avec la Lune. Il le sait, le ressent, aujourd’hui est le bon jour pour conclure. Sans même un malentendu. Même la brume ne l’arrêtera pas. Bien au contraire. Certains matins, elle le rend encore plus beau.

La Lune est encore là. Alors, il se dresse, brille avec de plus en plus d’intensité. « On peut bien rire de lui, il ferait n’importe quoi, si elle lui demandait », chantait la môme Piaf. Toujours plus d’énergie, toujours plus de lumière. Le voilà désormais au-dessus du Château. Rayonnant. Ici, il se sent chez lui. Il est le Roi Soleil. Ses rayons s’engouffrent maintenant dans les petites rues de la ville. Mais les cloches de l’église retentissent déjà et la Lune s’éclipse. « Avec le temps, va, tout s’en va. Avec le temps, tout s’évanouit », chantait Monsieur Ferré. Alors que le soleil s’épanouit, la Lune, elle, s’en va… s’évanouit. Le Soleil est là, mais la Lune ne le voit plus. Désolé Monsieur Trénet.  

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