Marathon des Sables : ils ont marché sur la dune

250 kilomètres en autosuffisance alimentaire, en plein coeur du Sahara sud-marocain, le Marathon des Sables, réputé pour être une des épreuves les plus difficiles au monde, fascine depuis plus de trente ans.

Sous une banderole de départ posée en plein cœur du Sahara sud-marocain, au petit matin, la sono crache le traditionnel « Highway to Hell » d’ACDC. « Autoroute vers l’enfer », un tube planétaire qui, à chaque nouvelle étape, résonne dans ce désert et dans le cœur des participants (20% de femmes). Âgés de 16 à parfois plus de 80 ans, ils sont venus affronter une des aventures les plus intenses de leur existence. Leur défi ? Parcourir environ 250 km répartis sur 6 étapes, en autosuffisance alimentaire.

L’enfer, les participants du MDS, représentants plus de 50 nationalités (dont environ un tiers de Britanniques), le traverseront au moins une fois au cœur d’une des étapes tracées dans les provinces d’Errachidia et de Tinghir. Tous savent qu’à un moment ou un autre, sans même l’avoir vu se rapprocher, ils visiteront cet enfer, physique ou mental. Mais avec toujours la certitude qu’au bout, le paradis les attend.

Certains sont là par défi personnel, d’autres (de plus en nombreux) pour récolter des fonds, d’autres encore pour guérir des blessures à l’âme ou évacuer les tracas du quotidien de leur vie « de tous les jours ». A chaque coureur son histoire, sa raison d’être là.

« Certains viennent repousser leur limite, se confronter à l’extrême pour écrire leur histoire, explique Patrick Bauer, créateur et directeur de l’épreuve. Le dénominateur commun, c’est la rupture avec le quotidien. On vient se couper du monde. Dans l’effort, tous les masques tombent. C’est un luxe aujourd’hui de se sentir hors du temps. Il y a souvent une quête plus secrète avec l’espoir de trouver dans la dimension spirituelle du désert des réponses à certaines questions parfois très intimes. Le désert magnifie l’âme. »

« On ne se bat pas contre le désert, il faut l’aimer »

Un voyage, un chemin à parcourir à travers les dunes, sur les pistes mais aussi parfois au plus profond de soi. Cette aventure fut celle dePatrick Bauer, jeune Troyen qui, en 1984, décida à 28 ans de traverser seul le désert. Fort de cette expérience personnelle, il décida d’en faire une course. Ou peut-être mieux encore : un partage. En 1986, ils étaient 23 au départ de la première édition de ce Marathon des Sables. Disputée depuis chaque année, sans interruption y compris pendant la Guerre du Golfe de 1991, l’épreuve est aujourd’hui devenue un mythe considéré comme l’une des courses les plus dures au monde. Même s’il est impossible d’établir un tel classement de façon objective, le « MDS » s’inscrit à coup sûr dans cette liste des épreuves extrêmes au cœur d’un environnement aussi sublime qu’hostile. « On ne se bat pas contre le désert, il faut s’adapter, il faut l’aimer, rappelle la Rémoise Laurence Klein, trois fois victorieuse.

Au fil des kilomètres, sous un soleil de plomb et une température frôlant parfois les 45°, le MDS c’est cette procession de coureurs venus affronter ce qu’ils pensent être leur limite. Des silhouettes que l’on devine à peine au milieu des nuages de sable soulevés par les rafales d’un vent parfois violent, encombrant et usant compagnon. Silhouettes isolées semblant errer au milieu de nulle part ou bien rassemblées en petit groupes formés au fil du chemin. Certains ne se connaissaient sans doute pas au moment du départ. Et puis leurs traces se sont confondues au milieu d’un cordon de dunes, d’un plateau caillouteux ou au sommet d’un djebel. Ils ont alors décidé de faire route ensemble. Comme une évidence. Parce que l’on est souvent plus fort à plusieurs. Parce que parler soulage les maux quand à chaque foulée, à chaque pas, la douleur tant physique que mentale s’immisce sournoisement, violemment parfois. Pendant de longues heures, ils ont couru, trottiné ou marché. Peu importe l’allure, leur seule obsession était d’avancer. Dans la chaleur, le vent, la nuit, ils ont traversé le désert. Au bout de l’effort, ils se sont tombés dans les bras, avec dans les yeux des émotions qu’il serait vain de vouloir exprimer par des mots. Les voilà avec des souvenirs communs qu’ils garderont toute leur vie.

Le MDS pour transformer l’Homme

Au pied d’une dune, au milieu d’un oued ou d’un lac asséché, ou encore le soir, au bivouac autour d’une gamelle, les rencontres. Une autre des richesses du Marathon des Sables, épreuve dont on ne ressort jamais tout à fait le même. Quel que soit son niveau. « Je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui sans le Marathon des Sables, confie le Marocain Lahcen Ahansal, dix fois vainqueur entre 1997 enfant du désert, témoin du départ de la 1re édition, alors qu’il n’avait que 12 ans. Quand j’ai vu les 23 coureurs partir et disparaître dans le désert, je me suis dit que moi aussi un jour je serai au départ. Et grâce à Patrick ça s’est réalisé. Les rencontres avec tous les participants m’ont permis d’apprendre à parler français, allemand, anglais. Le Marathon des Sables est bien plus qu’une course à pied. » « Quand on dit que l’on va courir dans le désert, que c’est en autosuffisance alimentaire et que l’on dort sous un bout de tente et sur un tapis qui sent le chameau, les gens pensent que l’on est fou, racontait Laurent Raymond au départ d’une précédente édition. L’humain est la fondation de la course. On se retrouve face à soi. Les valeurs d’empathie, de solidarité, de camaraderie sont la richesse de l’épreuve. C’est la preuve que l’on pourrait changer la société si l’on pouvait reproduire ce schéma. Hélas, ça ne dure souvent pas très longtemps. Dès qu’on arrive sur le tapis des bagages, c’est à nouveau la bousculade. Il faut que le Marathon des Sables nous transforme. Tu dois garder en toi une part de désert, une part de son esprit. Mais il faut l’entretenir. Peut-être que revenir chaque année courir ce MDS est une façon d’entretenir cet esprit. »

Réflexion et introspection au cœur de la nuit du désert

Le Marathon des Sables, c’est aussi cette longue étape de 80 à parfois près de 100 kilomètres… Sept ou huit heures pour les meilleurs, notamment les coureurs marocains sacrés à 22 reprises lors des 23 dernières éditions. Parfois plus de 40 heures pour les derniers, accueillis comme le veut la tradition par une longue haie d’honneur formée par tous les concurrents déjà arrivés au bivouac et les 420 personnes de l’organisation. Une longue étape aussi crainte qu’attendue. Comme le révélateur de sa force intérieure. Le moment où vous vous retrouvez seul face à vous-même, avec votre ombre comme unique partenaire de ce voyage. Le moment d’affronter ses démons et ses faiblesses mais surtout de découvrir des forces que l’on ne soupçonnait pas toujours. Instants intenses avec pour la grande majorité du peloton, une nuit à progresser au cœur du désert. Une véritable épreuve pour l’organisme mais un privilège pour l’esprit et l’âme. Le ciel étoilé du désert est unique. Son silence aussi. Seul le bruit des pas des coureurs dans le sable pour venir le troubler, dans une douceur qui contraste avec la violence de l’effort. Le moment suscite souvent un temps de réflexion et d’introspection. En 33 éditions, combien de grandes décisions personnelles ont été prises dans cette longue étape avec les étoiles pour témoins ? Certains préfèrent s’arrêter quelques heures à un point de contrôle transformé en bivouac de fortune. On s’y pose, on s’y repose. On s’y nourrit d’une barre énergétique, d’un de ces sachets de lyophilisé que l’on apprend à apprécier au fil des jours. A cet instant, cette poudre glissée dans un sachet en plastique prend la saveur d’un plat étoilé. L’impression à cet instant de pouvoir concourir à Top Chef. On s’y nourrit aussi du regard bienveillant de ces commissaires bénévoles, du petit mot d’un des 52 Doc’Trotter, ces professionnels de la santé présents sur le MDS depuis 1994, véritables anges-gardiens des coureurs.

Et le Diable se mit à pleurer

Le ravitaillement du corps et de l’âme terminé, on reprend la route jusqu’à cette banderole d’arrivée, graal ultime du jour. Sous cette banderole franchie en pleine nuit, au lever du jour ou sous un soleil déjà à la verticale, les mêmes scènes. Les visages sont marqués, usés, et les regards parfois hagards. Mais dans les yeux brillent inévitablement un inestimable sentiment de fierté. Certaines images restent longtemps, comme il y a quelques années déjà, celle d’Edward Jackson venu, dossard 666 oblige, dans un déguisement de diable avec sa fourche, en pleurs sur la ligne d’arrivée. Sur le MDS, même le diable peut craquer. Certains pleurent, d’autres hurlent leur délivrance. Avant de rejoindre leur tente où les attendent des compagnons désormais devenus des membres de leur famille, un petit signe à la webcam posée sous la banderole d’arrivée. Avec la certitude d’avoir quelque part dans le monde, un regard bienveillant posté devant un écran depuis de longues minutes, impatient de savoir que le mari, l’épouse, l’enfant, le parent ou tout simplement l’ami(e) en a terminé de son voyage. Du soulagement pour les supporters, et sans doute quelques larmes aussi. « Sur la longue étape, je chialais, c’est un camarade de tente qui a dû me retirer mes chaussures, racontait lors d’une des dernières éditions, Jean-Claude Gouhier, coureur troyen habitué de l’épreuve. Et puis le lendemain, tu repars quand même. Pendant 10 ou 15 minutes tu souffres et puis tu oublies. Ça ne sert à rien de geindre de dire toujours j’ai mal j’ai mal… Quand tu as terminé le Marathon des Sables, tu as la tête lessivée. Cette course t’offre un moment de purification. »

Séance collective de Kung-fu chaque matin au bivouac

Le Marathon des Sables et ses moments de magie. Lors de précédentes éditions, des musiciens de l’Opéra de Paris venaient interpréter des grands airs de musique classique sur une scène improvisée au pied des dunes. Instant surréaliste de ces musiciens dans leur tenue de gala, avec devant eux, ces coureurs dans leur tenue de sable, regards perdus au loin, visages creusés et marqués. Émotions à fleur de peau, sensibilité exacerbée après une semaine de course où le corps et l’âme ont tant été sollicités. Une autre année, chaque lever et chaque coucher de soleil était accompagnés par une séance collective orchestrée par Sun Fa, maitre de kung-fu, venu inculquer les bases du tai-chi Chuan (travail de l’énergie) et du qi gong (amélioration du souffle). Le kung-fu pour se recentrer sur soi. Toute la philosophie du Marathon des Sables et de son défi hors norme.

Hors norme mais en aucun cas réservé aux surhommes. « Pas besoin d’être un surhomme, insiste le directeur de course. Même s’il faut être entraîné, les horaires sont calculés pour permettre aux bons marcheurs de terminer dans des bonnes conditions. Pour faire un bon classement, il faut être très fort. Mais ce n’est pas la motivation de la grande majorité. La base c’est la gestion. La gestion de l’effort où l’on peut alterner course et marche, de l’alimentation, de l’eau, du repos. Le Marathon des Sables est l’aventure de tous. » Une aventure durant laquelle les concurrents auront su se débarrasser du superficiel pour ne garder que l’essentiel. Peut-être leur plus belle victoire.

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