Il est bientôt 6 heures du matin en ce jeudi 15 août. A l’horizon, la lune éclaire encore pour quelques minutes le massif des Ecrins. Sur la plage du plan d’eau d’Embrun, nous sommes un peu plus d’un millier de triathlètes à profiter de ce spectacle, engoncés dans notre combinaison néoprène, bonnet blanc sur le crâne. Etrange et merveilleux spectacle. Emouvant aussi. La nuit est belle. Le jour le sera aussi.
La lune s’est éclipsée. Il est temps de plonger dans ce lac, il est temps de défier l’EmbrunMan. Les affiches parlent du « triathlon le plus dur du monde ». A coup sûr exagéré. On parle aussi de « mythe ». La vérité est cette fois plus proche. Dans l’univers du longue distance en triathlon, l’EmbrunMan tient une place à part. A une époque où la démesure est devenue banale, il a su garder son âme et continue de faire rêver. Depuis 1984, chaque mois d’août, l’histoire du mythe s’écrit. Cette année, je vais tenter d’en écrire un petit chapitre même si je ne suis qu’une minuscule ligne sur une start list.
Je ne savais pas comment j’allais vivre ces quelques minutes d’attente avant le départ. Aucun stress, juste l’impression d’être bien, là où j’ai depuis longtemps rêvé d’être. Je suis prêt physiquement et mentalement. Depuis plusieurs mois, je me suis donné les moyens de pouvoir aller au bout de cette folle aventure. Alors pourquoi stresser ? Je veux juste profiter, apprécier chaque instant. Le traditionnel clapping pour se donner du courage. Comme par magie, toutes les mains se mettent à battre au même rythme, comme si nous étions tous reliés. Des meilleurs qui finiront leur périple dans à peine 10 heures, aux plus anonymes dont la seule ambition est de passer la ligne d’arrivée avant ce soir, 23h15. Je suis de ceux-là.
Il est 22h02 en ce jeudi 15 août. Au milieu des étoiles, la Lune a fait son retour. Comme pour nous guider. Je suis « EmbrunMan ». Une médaille, un polo finisher pour matérialiser les émotions d’une journée. Mais surtout des souvenirs pour une vie. Souvenirs de sensations uniques, difficilement descriptibles avec des mots. Bien sûr, il y eut des moments difficiles. Mais jamais de souffrance. Jamais je ne me suis demandé ce que je faisais là. Après seulement quelques kilomètres de vélo, jamais je n’ai douté que j’irai au bout. Le corps était prêt. Forcément. Mais avant tout, l’esprit l’était aussi. Depuis des mois, cet EmbrunMan, je l’avais imaginé, « mentalisé ». J’avais mis en place des « protocoles » à enclencher en cas de grosse difficulté. Sur chaque difficulté, je savais comment agir et non réagir. Toujours avoir un coup d’avance.
Sur une telle durée, il faut également éviter de voir la course dans sa globalité. Il y a d’abord la natation, on verra ensuite. Puis vient la première boucle du vélo. On verra ensuite. Arrive l’Izoard. Ne se concentrer que sur le col, que sur le prochain lacet. La suite ? On verra plus tard. Une mécanique à répéter tout au long de la journée. Une chose après l’autre. Isolé, chaque tronçon est accessible. Mais quand on commence à ne plus voir que leur somme, la peur s’installe. Bien évidemment, le cerveau n’est pas complètement dupe, mais il faut le forcer à ne voir que ce qu’on veut bien lui montrer. Et aux moindres prémices d’idée noire, vite la chasser par une pensée positive, se souvenir d’un message, d’un visage, d’un regard, entendre les encouragements d’un enfant pour son papa ou sa maman, s’émerveiller d’une lumière comme celle aperçue en début de course quand, au milieu d’une descente, les premiers rayons de soleil se reflétaient sur le lac de Serre-Ponçon. Beau à en pleurer.
L’aventure EmbrunMan est terminée. Elle est une nouvelle illustration qu’il faut oser rêver grand. Que si l’on s’en donne les moyens, ces rêves qui parfois semblent fous, peuvent devenir réalité. Le temps file, les années passent, alors ne laissez pas les les « j’aimerais un jour » devenir des « j’aurais aimé un jour ». Il faut croire en soi. Nous sommes toutes et tous capables de réaliser des choses qui sortent de l’ordinaire. Ne laissez pas les autres vous convaincre du contraire. Cette aventure va désormais laisser place à d’autres envies, à d’autres projets. Les rêves ne manquent pas.
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De façon un peu plus pragmatique, le détail de ma course
Natation : 1h06’51 » (222e temps)
Une bonne bagarre sur les 300 premiers mètres pour se faire sa place avant de pouvoir poser sa nage. Un départ comme je les aime, loin de ces rolling start aseptisés. Alors ok, les coups de coude, les mains dans la tronche et le mec qui te nage dessus, c’est moins « confort », mais le triathlon pour moi c’est ça. Une fois la nage posée, de bonnes sensations. Difficile de savoir si j’ai réussi à être régulier n’ayant pas réussi à lire le chrono au passage du premier tour. Impossible aussi de savoir si je me suis bien orienté, le GPS de ma montre étant une fois encore complètement à la masse en eau libre. A l’arrivée, un chrono conforme à ce que j’avais imaginé.
Transition 1 : 7’47 » (782e temps)
Après avoir longtemps hésité (je me posais encore la question en nageant), j’ai décidé de partir en cuissard de vélo et non en tri-fonction. Question de confort. Du coup, un peu de temps supplémentaire pour me changer.
7h15, il est l’heure d’attaquer le gros morceau. La reconnaissance du parcours il y a un mois m’a permis de définir un plan de route avec des estimations de mes horaires de passage sur certains points du parcours. Le premier repère est placé au 40e kilomètre, à la fin de la première petite boucle. Une boucle qui commence de façon peu digeste avec près de 10 kilomètres de montée pour se mettre en jambes. Bonne nouvelle, les jambes ont l’air d’être plutôt coopératives. Ça tombe bien car la journée ne fait que commencer. Comme toujours, je me fais doubler par tout le monde. C’est le problème quand on sort bien de l’eau mais que l’on est un piètre cycliste. D’autant plus quand certains donnent l’impression de partir pour un sprint… Du calme, les gars, on en a pour la journée… L’avantage de l’expérience, c’est que j’ai l’habitude et que je sais donc le gérer mentalement. Montée à mon rythme donc, comme toujours, puis bonne descente. Résultat, 15 minutes d’avance sur mon temps théorique de passage. Jusqu’ici tout va bien…
Pour rester dans la philosophie de la sagesse décrite dans la news précédente, je sais qu’il ne faut surtout pas s’enflammer. Inutile de vouloir augmenter cette avance. Il s’agit de la gérer tranquillement et les barrières horaires se passeront confortablement. Direction le col d’Izoard en passant par Guillestre. Obligation d’y passer avant 13h15 sous peine d’être mis hors course. Mon plan A prévoit un passage à 12h45. Avec environ 25′ d’avance sur ce plan au pied du col, je suis bien. Je vais pouvoir « gérer » (vous l’aurez compris, le mot clé sur de telles épreuves). Pour être franc, cette ascension n’est pas des plus paisibles. L’impression d’être scotché dans la pente et d’être loin des montées que j’avais réalisées en reconnaissance. Sensations trompeuses puisque je suis finalement dans les mêmes temps (merci Strava pour le calcul des segments). Il est 12h20 quand je franchis le sommet. Avec une heure d’avance sur la barrière, je peux me permettre de prendre un peu de temps pour mon ravito perso apporté par l’organisation à ce point de passage.
Au taquet dans la descente vers Briançon avant d’entamer le retour sur Embrun. Comme toujours, vent de face dans le nez. Ça souffle un peu mais rien non plus de dantesque. Prochain repère par rapport à mon plan de route : le pied de la côte de Pallon. Avec toujours 20-25′ d’avance sur le plan initial, je sais que sauf cata (et je n’en sens pas les prémices), les deux barrières horaires suivantes se passeront bien. Pallon, c’est 1,4 km de montée à 10%. Alors oui ça grimpe dur, mais ça ne dure que 10 à 12’… Alors on serre les dents, on appuie sur les pédales et ça finit par passer. Direction la dernière difficulté du parcours : Chalvet !
Cette dernière côte, tout le monde la redoute. Alors que le compteur affiche déjà 175 km et qu’il suffirait de descendre tout droit dans Embrun pour rejoindre l’arrivée, le parcours nous envoie sur les hauteurs du village. Un peu plus de quatre kilomètres qui peuvent ressembler à un ascenseur vers l’enfer pour ceux qui n’ont pas su en garder un petit peu dans les jambes… et la tête. Comme vous l’aurez compris, la gestion, c’est plutôt mon truc. J’en ai donc gardé. Je mets finalement à peine 3 minutes de plus que pendant la reconnaissance. Une dernière descente assez technique et le plaisir, voire la jouissance, de poser enfin ce vélo après près de 9 heures les fesses sur la selle (même pas mal).
Transition 2 : 7’34 » (644e temps)
Après 9 heures de bike, retirer des chaussures de vélo pour enfiler des runnings figure clairement dans le top 5 des grands bonheurs de la vie. Un peu de temps encore pour mettre cette fois la tri-fonction et c’est reparti. Il est 16h15, j’ai toujours une heure d’avance sur la barrière horaire. Avec 7 heures pour faire le marathon, sauf problème physique rédhibitoire, j’irai chercher la médaille…
Course à pied : 5h44’57 » (809e temps)
Comme je le dis souvent, le marathon d’un Ironman n’est pas un marathon comme les autres. Parce qu’à cet instant, mentalement, on se dit « plus qu’un marathon et c’est fini ». On attaque le dernier acte de notre journée. Même si ça peut sembler étrange avec encore plus de 5 heures au moins à oeuvrer, ça commence à sentir l’écurie. Au menu, trois tours de 14 kilomètres à effectuer avec une grosse côte à chaque fois. Dans ma stratégie, il est clair que je n’essaierai même pas de courir dans la côte. Le gain de temps ne vaut pas la dépense d’énergie supplémentaire. Chemin faisant, les kilomètres défilent… pas vite certes, mais ça avance… Premier tour en 1h45, pile poil comme prévu. Deuxième tour en 2 heures, pile poil comme prévu. Tout va bien. Evidemment, j’alterne marche et petite course. Mais peu importe, dans ces moments, l’essentiel est d’avancer. D’autant plus que l’ultime barrière horaire n’est désormais plus qu’une formalité. Un dernier tour, et ce sera terminé, médaille et tee-shirt de finisher.
Depuis le début de la journée, Bénédicte, coéquipière du Poissy Triathlon réalise pratiquement la même course que moi. Nous ne nous connaissons pas vraiment, nous avons dû nous croiser deux ou trois fois aux entraînements. Mais nous portons le même maillot, celui de Poissy, le meilleur club de France, celui que beaucoup de spectateurs reconnaissent de loin avant de crier des « allez Poissy ». Grisant. A l’entame des 14 derniers kilomètres, nous décidons donc de finir ensemble. A deux nous sommes plus forts. Nos papotages masquent les appels de détresse des jambes. Le cerveau est davantage concentré sur l’autre que sur soi et dans ces moments là, c’est une très bonne chose. Dernier tour pour remercier tous les bénévoles à chacun des ravitaillements, dernier tour pour apprécier, pour savourer. Les enfants de Béné nous accompagnent sur une bonne partie du tour. La nuit est tombée mais nul doute que nos yeux brillent autant que les étoiles. Plus que quelques minutes et nous serons finishers de l’EmbrunMan. Pris dans une sorte « d’euphorie » (tout est relatif), nous bouclons cet ultime tour en 1h59. Tour d’honneur, tour de bonheur. Une dernière ligne droite, deux cents derniers mètres. C’est fait ! A peine plus de 16 heures alors que le plan de route était basé sur 16h30 (si vous voulez voir mon arrivée, ce lien sur le sujet réalisé par France 3 sur Bénédicte https://bit.ly/2NcpUAT ). Précision, je parle bien d’un plan de route et non d’un objectif chronométrique. Le seul but de ce plan était d’avoir des repères par rapport aux barrières horaires (obligation d’arriver avant 23h15 soit 17h15 de course) et de pouvoir ainsi optimiser la gestion de la journée.
Total : 16h02’31 » (770e) – 908 finishers (1101 au départ) – 75 hors délais à l’une des barrières horaires – 107 abandons – 1 disqualifié
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En vrac
. L’alimentation. Beaucoup m’avaient prévenu : « pense bien à t’hydrater et à te ravitailler ». Avec plus de 12 000 calories dépensées selon ma Polar, mieux valait en effet amener régulièrement de l’énergie. Des barres énergétiques, des stinium et quelques bouts de banane aux nombreux ravitaillements m’ont suffi. J’avais un ravito perso au sommet de l’Izoard avec un sandwich jambon mais je n’ai pas réussi à le finir. Idem pour ma canette de Coca. Côté boisson, après avoir bu ma gourde remplie de Boisson de l’effort, essentiellement de l’eau. Suffisant sur le vélo. Sur le marathon, là encore les nombreux ravitos permettaient de faire le plein. En eau bien sûr mais aussi en coca et Saint-Yorre (idéal pour les sels minéraux). Je ne sais pas combien de litres j’ai pu boire dans la journée, mais ce doit être impressionnant.
. L’organisation et l’ambiance. Sincèrement rien à dire. Contrairement à ce que certains ont pu connaitre par le passé, il ne manquait de rien aux ravitaillements. La sécurité m’a semblé parfaite à toutes les intersections du parcours vélo. On ne nous « couve » pas comme parfois sur d’autres courses, mais un peu d’autonomie ne fait pas de mal. Merci donc à Gérald Iacono d’avoir imaginé cette course et de nous permettre de vivre une telle journée. Belle ambiance aussi offerte par les accompagnateurs mais aussi tous les vacanciers que ce soit au plan d’eau ou dans la rue piétonne d’Embrun. Le prénom inscrit sur le dossard permet aux spectateurs de crier des « Allez Pascal ». L’impression de connaître tout le monde !
. Merveilleux bénévoles. Ils sont la fondation de tous les événements sportifs. Une fois encore les bénévoles sont des gens exceptionnels. Sur le parcours vélo, certains sont restés la journée entière à une intersection pour veiller à ce que nous puissions avancer en sécurité. Aux ravitos, toujours le sourire, toujours le mot qui va bien et la volonté de nous « servir » le plus vite possible, d’être à notre écoute. L’enthousiasme qu’il nous transmette quand le temps commence à paraitre long est un formidable moteur. Comment ne pas s’arrêter à chacun des ravitos dans le dernier tour pour les remercier.
MERCI
Sans doute le point plus important pour conclure cette new news. Durant toute la préparation de cet EmbrunMan, et encore davantage dans ces dernières semaines et ces derniers jours, jamais je ne me suis senti seul dans cette aventure. Vous avez été très nombreux « derrière moi ». Quelle richesse ! A toutes celles et tous ceux qui m’ont dit au téléphone, sur Facebook, Insta ou par sms, « on pensera à toi jeudi », soyez certains que vos bonnes ondes sont bien arrivées.
Bien sûr une pensée pour la « famille » de La Cavalcade de Poissy. Voir au moment de rallumer le portable plus de 250 messages sur le groupe What’App sur le suivi de ma course tout au long de la journée, wow… Du côté d’Embrun, merci à toute la bande Meudon Triathlon pour les encouragement (Ben, Pascal, Suzanne etc.), merci Sylvie, merci Anne-Sophie et toute ta « bande ». Merci à Olivier, speaker de l’épreuve, qui n’a cessé de m’encourager à chacun de mes tours du marathon, à Bertrand et Christophe. Merci Véro, fidèle attachée de presse de l’EmbrunMan à qui j’avais dit il y au moins 10 ans, qu’un jour je serai au départ. Très grand merci à Auriane pour les photos mais surtout pour ses encouragements tout au long de cette folle journée. Auriane, j’espère que ce que tu as vécu jeudi a encore fait grandir ton envie d’en être aussi un de ces jours. Et ce jour-là, je viendrai volontiers faire les photos 😉 . Merci à ceux que j’ai senti sceptiques (voire moqueurs) il y a quelques mois quand j’ai annoncé ma volonté de faire l’EmbrunMan. Vous aussi m’avez aidé… sans le savoir. Merci au club de Poissy et à ses entraîneurs. Très fier d’avoir réalisé cette course avec la belle tenue jaune et bleue.